Suite1

Le temps de l'insouciance



« Pourvu que jamais jeunesse ne passe! »

Leo et Lea étaient jumeaux; par ce qu'ils étaient nés le même jour, comme aurait dit Monsieur de La palice .

Mais ce n'était pas évident au premier regard. L'un était brun autant que l'autre était blonde.

Leo avait les caractéristiques physiques de son père, une tignasse noire et un caractère de Gascon. Alors que Lea tenait de sa mère, sa blondeur et ses yeux bleus. Ceux de Lea étaient bleu-vert. d'une couleur qui évoquait la mer en Bretagne. Aussi changeante que le temps, et que son humeur.(Celle de Lea; pas de la mer...encore que....En Bretagne....)

Leur père, helléniste distingué, avait choisi pour le garçon, le prénom de «Léocharès» (Sculpteur athénien qui participa à l'édification du Mausolée d'Halicarnasse.)
(Pour ceux que cela intéressent, il s'agit d'une des sept merveilles du monde...Pas Léocharès; mais le mausolée).

Et pour la fille comme personne ne l'attendait, il n'y avait rien de prévu. Elle hérita donc du prénom de sa grand mère « Leontine ».

La nounou, ou plutôt «Maman-doudou», que papa avait ramené d'un voyage aux Antilles, se dépêcha de rectifier les choses. Leo était un enfant très affectueux et Maman-doudou trouvait que 'Leocharès', (Prononcez à l'antillaise) « Leo Caresssssses » (En faisant siffler les 'S'), méritait bien son nom.

(Chére lectrice si vous souhaitez vous perfectionner en créole antillais, dans le même ordre d'idée, je vous propose:: 'Marie-Thérèzzzzze', 'Jezzzus, Marie, Jozzzzeph' etc...etc)Mais revenons à nos moutons! Ou plutôt à nos jumeaux.

Pour Lea dont le caractère s'affirmait de plus en plus autoritaire chaque jour; elle fut vite baptisée « Lea Tigressssse » (Même prononciation que précédemment)

Et c'est ainsi que « Leo Caresse » et « Lea Tigresse » grandirent en taille, sinon en sagesse; dans une grande bâtisse sur les hauteurs de Brest.
La construction toute de granite local, aurait pu paraitre austère, vue de l'extérieur. Mais vue de l'intérieur, pas du tout.
Cette maison avait tout d'un vaisseau de ligne de l'époque. Il y avait des poutres et des lambris, des plafonds à caissons, des meubles massifs; le bois régnait en maitre partout. La comparaison ne s'arrêtait pas là. La population de ce bâtiment, avait tout d'un équipage. On y trouvait toutes des couleurs de peaux, allant du blanc laiteux au noir ébène. On y parlait toutes sortes de langues. On était très nombreux, mais comme disait Thomas: « ce n'est rien à coté de la vie à bord. »
Personne ne se plaignait de trop de promiscuité. On se serait cru dans une ruche, et comme disait Thomas: « Dans une ruche, est-ce que les abeilles se plaignent d'être trop nombreuses? »

(Chère lectrice, je vous propose une visite guidée. Suivez moi, vous serez bien accueillie.)

«Capitaine-Thomas » comme disaient les jumeaux en parlant de Louis Thomas Villaret de Joyeuse; n'avait pas ramené de ses voyage qu'un palmier.

Il y avait à bord de cette bâtisse, ancrée le dos à la forêt, quelques spécimens rares, de marins aux talents variés.
Commençons, si vous le voulez bien par : « Cambuse. » Il était cuistot à bord; ce qui explique qu'il avait interdiction de s'occuper de la cuisine.
Mais il s'occupait très bien du potager, sous les ordres la cuisinière «Maman-gâteau» avec laquelle il était marié.
(Cela n'explique pas pourquoi il était interdit de cuisine. Mais comme disait la cuisinière: « Devwait êtwe content que quelqu'un s'occupe de sa vieille cawcasse, voudwait pas en plus, que je mange son wata, à ce vieux faignant) (Dixit)
Personne ne comprenait pourquoi faignant, car si vieux, il l'était. Faignant, il ne l'était pas du tout. Toujours occupé du lever du jour, au soleil couchant. (Peut-être qu'après le coucher du soleil.....allez savoir....)

Il y avait aussi un grand costaud dont on ne connaissait que le surnom 'Sainte Barbe'.(C'est le nom du réduit où l'on entrepose la poudre à bord)
« Sainte-Barbe » était un ancien canonnier. Il exerçait ses talents de chasseur sur les garennes et autres nuisibles qui pullulaient dans la région. Il était également maitre d'arme donc en charge de la protection en général. Il n'était marié avec personne, mais proposait facilement sa protection à la gente féminine. A toute la gente; au grand dame de Maman-France.
Sainte-Barbe était inséparable de Barre à Bâbord avec lequel il avait exécuté pas moins de 18 abordages, forcément ça crée des liens.
« Barre à bâbord » en tant que charpentier et responsable de la navigation, était chargé des réparations et de l'entretient de « l'alerte » le navire de la famille.

L'Alerte trois mats barque, avant que BaB ne l'équipe de voiles auriques.

Accessoirement BàB fabriquait des meubles, surtout des berceaux et de très jolis jouets en bois « Nous verrons plus tard, pourquoi la demande de berceaux, était si importante.»

Leo et Lea appelaient leur mère Maman-France; sur le gaillard avant, celui de l'équipage. Et Madame-Capitaine en la vouvoyant, sur le gaillard arrière, celui des grandes occasions.
En fait, tout nouvel arrivant ne se sentait membre de cette famille, qu'après avoir été dûment rebaptisé par les jumeaux.
Madame-Capitaine avait son propre équipage, constitué d'une douzaine de filles mères avec leur progéniture. C'était pour la plupart des servantes qui s'étaient laissées séduire par le 'noblio' du coin, et que le curé se chargeait d'écarter de la tentation. Il semblerait que le droit chemin, à cette époque, menait tout droit dans le giron de Maman-France.

En contre partie l'abée de Kerssauzon servait de précepteur à tout ce beau monde. En gros, il apprenait à lire et à écrire à tous ceux qui en avait besoin. C'est à dire à la quasi totalité des habitants de la maison, exception faite de Leo et Lea. Qui savaient déjà écrire le français avec beaucoup de fautes d'orthographes.
Leur esprit vif et leur curiosité insatiable s'exerçaient de préférence sur BàB. Ce dernier habitué à enseigner les mystères de la navigation aux jeunes aspirants, faisait preuve d'une patience à toute épreuve, avec les jumeaux.
Lea comme Leo, sans être des surdoués, apprirent très vite à parler le Français comme tout le monde; l'Anglais comme leur mère, le Créole comme Maman-doudou et le Breton comme BàB. Cette aptitude à passer d'un registre à l'autre était perçu par eux comme un jeu. (Cela donnait surtout un mélange incompréhensible, sauf d'eux.)
L'abée de Kerssauzon (celui des filles enceintes), parent de L'abée de L' épée, (celui des sourds et muets), se passionnait pour le langage des signes, il apprit donc ce nouveau langage aux jumeaux.
Un jour Capitaine-Thomas ramena de « La Railleuse » un indien originaire du Canada.

Cet Algonquin, muet de naissance, ne communiquait que par signes, on fit donc appel à l'abée .
Etant capable de parler par geste avec les sourds et muets bretons, il devrait naturellement comprendre un sourd et muet Canadien.
Au bout d'un moment Thomas mis le haut-là à cet échange de signaux, en se rendant compte qu'aucun des deux ne faisait « l'aperçu.» Et pour cause un sémaphore algonquin ne comprend pas ce que raconte un sémaphore français, c'est un fait avéré.
Le problème était insoluble.
La curiosité des jumeaux était au paroxysme. Tout dans cet indien les intriguait.

Avec l'intuition naturelle des enfants entre eux; ils virent que l'indien lissait sur leurs lèvres mais que son vocabulaire était très pauvre en français.
Lea découvrit par hasard, que l'indien comprenait le créole quelle utilisait avec Maman-doudou.

Cest Lea qui débloqua la situation, même si elle ignorait que le créole était la langue des équipages. Les jumeaux, passèrent aux choses sérieuses.

« Pourquoi tes habits sont-ils en peaux, il n'y a pas de tissus dans ton pays? »
« Il fait beaucoup de soleil au Canada? Pour rester bronzé même en hiver ? »
« Tes cheveux sentent l'huile rance? tu ne les laves jamais? »
« Ils parlent tous par gestes dans ta tribue ? ou les muets seulement.

Autant de questions qui recevaient des réponses en créole, avec les signes algonquiens, on finit par se comprendre.
Tout le monde souriait ; chacun proposant sa version, ce qui entretenait une bonne atmosphère de gaité. Mais comme le fit remarquer Leo « il y avait encore du chemin à faire »

De toute façon Capitaine-Thomas n'avait pas l'intention de présenter « Outa » à Versailles ….et tant mieux.» Les jumeaux avaient une très mauvaise opinion de Versailles. Pensez donc « Un château ou on élevait des rois et des reines, pour leur couper la tete à coup de guillotine, était à coup sûr un endroit peu fréquentable. »

En effet « Outa » de son vrai nom « Outawa Chicoutimishawaki Mataqgami»,était le seul a pouvoir décrire son nom par gestes en créole.
Chacun voulu s'essayer à une traduction française, qui pouvait être « Guerrier valeureux qui court plus vite que ses mocassins » selon Lea et « Esprit du vent qui a des ailes aux pieds et dans la tête» selon Leo.

La seule chose évidente, c'est que « oui » devait se dire « outa » en Algonquien parce que c'était le seul son qui sortait de sa bouche. Donc l'indien fut adopté et baptisé « Outa »

Ce ne sera que beaucoup plus tard, quand Outa su écrire qu'il donna de son nom une traduction exacte ;

« L'homme qui, poursuivi par un ours qu'il avait blessé à la chasse, avait couru longtemps avant de tomber du haut d'une falaise sur la tête, et en était resté amnésique »(C'est sûr, que ce n'était pas facile à traduire par geste)

Pour avoir le dernier mot Lea décréta en conclusion : « N'empêche que Capitaine-Thomas aurait pu en ramener un qui soit complet. Je veut dire qui parle. Avec un cerveau dans la tête, à la place d'un crane plein de courant d'air. »

Au final Outa fit des progrès en créole. Maman-doudou, fit des progrès en algonquien. Les échanges linguistiques ayant tendance à se prolonger tard dans la soirée; Mère décida qu'il fallait les marier.
Aucune objection de la part de Maman-doudou, qui se voyait déjà entourée d'une bande de bébés tous plus bronzés les uns que les autres.
Aucune objection de la part d'Outa qui expliqua que sa tribu pratiquait la polygamie. Mais quant à lui, ayant perdu la mémoire, il ne pouvait jurer n'avoir jamais été marié. Cela ne rassura pas l'abée.(Il les maria quand même, ils n'étaient pas les premiers à avoir fêter Pâques avant les rameaux)

Ce fut une belle fête, l'abée leur souhaita beaucoup d'enfants, quelque soit leur couleur, pourvu qu'il soient élevés dans la religion de leur mère. Outa qui aurait même promis de se convertir à l'Islam, tellement il était heureux; répondit « oui en breton. » ce qui était le second bruit, que son absence de corde vocal lui permettait d'émettre en plus de « Outa »

Lea se demandait à quoi ressemblaient des bébés 'Antillo-Algonquiens'? Pour les couleurs.
Est ce qu'elles se mélangeaient? Ou est ce qu'ils naissaient rayés comme des tigres. Jaune et noir? Ca devait être très mignon un bébé tigré. Il faudrait qu'elle pose la question à Capitaine-Thomas qui avait beaucoup voyagé, et en avait surement déjà rencontrés.

« Chère lectrice, je vois que avez du mal à imaginer de tels personnages. Remarquez que moi aussi cela m'a fait tout drôle au début, de voir qu'ils m 'échappaient. Mais c'est le risque qu'a couru pygmalion à son époque, et qui s'est reproduit. J'espère que vous serez indulgente avec eux. )

Pourvu que personne ne cherche a séparer les jumeaux:

BàB était naturellement calme et réfléchi. Toujours occupé à fabriquer ou à dessiner un projet. Présentement, il fabriquait une maquette de bateau en bois.

Ce qui faisait l'originalité de ce travail, était que le bois qu'il utilisait, venait du cimetière des bateaux.

Les navires réformés de la marine royale, étaient regroupés sur un haut fond vaseux. Ils devaient servir de stock de pièces de rechange, à fin de réparations. Mais les charpentiers préféraient utiliser les bois neufs, stockés au sec. Surtout que le chêne en vieillissant devenait dur comme du métal et les outils s'émoussaient plus vite.

Barre à babord avait baptisé ce cimetière à bateau « Le sot l'y laisse »(ou le soliléce).

Il y avait ses petites entrées.

Un fonctionnaire de l'amirauté chargé de la gestion des mises au rebut, avait servi avec lui aux Antilles. Ils évoquaient ensemble le bon vieux temps, en partageant quelques « ti punchs »; moyennant quoi : Tous les parquets de la bâtisse venaient des ponts des bateaux, ainsi que les lambris et les charpentes. Les sabots de Cambuse aussi.

L'antre de Barre à bâbord avait quelque chose de la caverne d'Ali Baba. Un Ali Baba qui se serait pris pour le père Noël. Il y avait de quoi exciter la curiosité des jumeaux, qui n'avaient pas besoin de ça pour être excités.
Ils farfouillaient pendant des heures, dérangeant, les piles pour voir ce qu'il y avait dessous. De temps en temps, Barre à bâbord poussait un coup de gueule:

BàB « Mais qui va ranger tout ce foutoir? Et faite attention, si cette caisse dégringole, elle va vous aplatir comme deux crêpes »
Lea: « Des crêpes bretonnes bien sûr! »  « A propos de crêpes, Leo sens tu ce que je sens »
Et laissant tout en plan; les deux terreurs étaient déjà dans la cuisine. Alors que BàB n'avait pas prononcé la première phrase d'un sermon, dans lequel il était invariablement question de  « Privé.....désert.....tout....ranger »

Leo; « Je me demande où il a pris cette fichue habitude de vouloir nous faire ranger » « Le seul ordre qui règne dans son nid à rat; c'est à gauche, les pièces de bois, à droite celles en métal »
Lea: « Tu oublie et au milieu, ce qui n'est ni du bois, ni du métal, avec les plus lourds dessous, les plus légers dessus »

Maman-Gâteau attribua deux crêpes, à chacun, puis les chassa de la cuisine à coup de torchon. Le même qui servait à chasser les chats, quand elle faisait des « accras ».

Moralité: l'odeur des crêpes attiraient les jumeaux comme celle des accras attiraient les chats.

Mais il arrivait que les jumeaux tombent en panne d'imagination. Ou simplement ils n'étaient pas d'accord pour entamer un nouveau « Et si on jouait à ce qu'on serait...... »

Et dans ces cas là, ils partaient à la recherche de BàB.

Depuis son atelier; qui sentait bon le bois raboté et la fumée du poêle, il les entendait venir de loin.

BàB: « Tient, voilà mes mésanges qui s'ennuient, c'est la pluie qui vous à fait dériver jusqu'ici ? »
« On s'ennuie. On sait pas quoi faire » répond Leo.....
BàB: « Quand mes mésanges s'ennuient, elles viennent régulièrement s'échouer sur mes hauts fonts...
Lea: « Et puis pourquoi que tu nous appelle toujours les mésanges ? On n'a rien à voir avec ces petits oiseaux même pas bons à manger ! »
BàB: « Oh mais vous leur ressemblez beaucoup plus que vous ne croyez. Comme elles, vous formez un couple. Il paraît que c'est courant chez les jumeaux, et comme elles, vous « zinzinabullez »
c'est à dire que vous restez toujours à portée de voix, de telle sorte que pour une oreille de vieux matelot « Ou que t'es » « ici » « et toi ou que t'es » »ici » »ici ou » »ici là » c'est comme le gazouilli des mésanges.
Lea: « Bon si tu veux, mésange j'aime mieux que garçon manqué.....ça veut dire quoi au juste 'garçon manqué' ?

Leo qui dessinait dans son coin et semblait très concentré, intervint tout à coup
Leo: « C'est facile à comprendre. On est jumeaux, mais les parents n'attendaient qu'un enfant. »
« Maman-Doudou m'a raconté que je suis arrivé le premier. Et quelle a annoncé à Capitaine-Thomas, qui était dans la pièce à coté « Bravo vous avez un beau garçon avec tout ce qu'il faut, là ou il faut » Ensuite tu es arrivée et là elle a du annoncer « Une crevette avec rien de se qu'il faut ou il faudrait » en somme un 'garçon raté'.
Lea: « Tu vas voir s'il va te raté le garçon manqué, hurla Lea. Elle s'empara d'une règle en bois se précipita sur Leo. Celui ci surpris n'eut que le temps de se protéger la tête, avec le carton sur lequel il était en train de dessiner.

La règle frappant à plat la feuille de carton fit un bruit énorme, et Leo s'affaissa doucement sur le sol couvert de copeaux. Cela eut pour premier effet, de stopper net les feulements de Lea, et comme second, de lui faire lâcher sa règle.

Lea inquiéte se pencha vers son frére. Mais ne remarqua pas la main de Leo qui discrètement venait de se refermer sur une poignée de sciure.

La vengeance était à la hauteur de l'affront, et le pugilat qui allait suivre, menaçait de réduire en miette les maquettes de BàB.

C'est ce moment que choisit Sainte Barbe, pour faire irruption dans l'atelier.

Le chef canonnier avait une voix capable de couvrir le bruit de la bataille, et là il fallait en éviter une,.... donc il retrouva instinctivement les mots justes pour s'écrier:

- SB: « Halte au feu moussaillons le premier qui bouge un cil, tâtera de ma corde à noeuds...... et si vous aimez tant que ça la bagarre, je vais vous apprendre à contrôler vos forces....
SB: « Vous allez sur vos douze ans ? N'est ce pas? »
Les jumeaux en coeur « Bientôt dix, le mois prochain. »
SB: « C'est égal....vous avez grandi trop vite et j'ai remarqué que vos chamailleries commençaient à laisser des traces, les bleus d'aujourd'hui annoncent les fractures de demain. (Joli proverbe marin dont SB avait tout une collection)

(Chère lectrice, puisque vous avez apprécié les dictons de SB .Nous citerons de mémoire les plus innocents « Les bonnes bières, comme les bons équipages, se reconnaissent à la qualité de leurs mousses »
« Un canon qui tonne, c'est comme un marin qui pète, vaut mieux pas rester derrière »
etc...etc...)

Pourvu que les jumeaux ne se prennent pas pour de brillants escrimeurs:

Prenant deux cannes dans une jarre qui contenait également des ombrelles, SB. se dirigea vers la salle d 'entrainement, suivi de prêt par Leo, lea,et BàB.
Outa qui passait par là leur emboita le pas.

Sainte Barbe avait souvent vu les jumeaux suivre en spectateurs les entrainements de Capitaine-Thomas ou des officiers de La Railleuse. Mais il ignorait que les jumeaux attendaient que les adultes aient quitté la salle, pour prendre leur place et s'essayaient à reproduire leur feintes et leur attaques.

Ils avaient baptisé ce jeu « La botte secrète »

Sainte Barbe leur attribua une canne à chacun . Il entoura son bras droit d'une cape et tenant dans sa main gauche un large coutelas en bois il se mis en garde.

voyons ce que vous savez faire, attaquez moi tous les deux ensemble.

Il était primordial que le maitre d'arme étudie d'abord les tendances naturelles de ses élèves avant de dispenser son enseignement.

Leo avait tendance à monter à l'assaut en courant et à rompre par petits bonds vifs, mais il mettait toute sa force dans ses coups . Résultat, s'il rencontrait une parade son bras souffrait, et s'il ne rencontrait que le vide il perdait un peu l'équilibre.
Lea semblait glisser en avant et en arrière, mais en rythme comme si elle exécutait une danse dont elle était la seule à entendre la musique.

La défense de Sainte Barbe semblait inexpugnable.

Jusqu'à ce que Lea passant sa canne dans sa main gauche, envoya un message à Leo en langage des signes que SB. n'arriva pas à traduire et qui signifiait;

Lances lui ta canne à la figure.

Leo n'hésita pas une seconde et propulsa ce javelot improvisé en visant à la tête.

Pour ne pas être blessé Sainte Barbe du lever le bras avec la cape, ce qui lui évita de se faire éborgner; mais l'empêcha de s'occuper de Lea.
Celle ci vive comme une anguille, se glissa sous son bras gauche et lui assena un violent coup de canne sur le tibia.

La douleur pris Sainte Barbe de court, il leva instinctivement la jambe, pris son tibia de la main droite et lança sa parade vers Lea de la gauche. Mais sur une jambe il ne pouvait l'atteindre sans perdre l'équilibre.

Lea toujours à genoux se débarrassa de sa canne dans la direction de son frère, attrapa le bas de la cape qui était à sa portée et pirouettant sur ses fesses se drapa avec.
Cette ruse inattendue eut pour résultat de faire perdre définitivement l'équilibre au maître d'arme.
La chute fut douloureuse pour son postérieur, mais pas autant que pour son amour propre.

Le comble c'est qu'il ne pouvait plus bouger. Lea tirait sur la cape immobilisant ses bras et
Leo triomphant pointait une canne sur son cou, un pied posé sur son buste avec un sourire désarmant.

Lea d'une voix étouffée par le tissus de la cape, voulu avoir le dernier mot comme d'habitude.

Lea: « Alors qu'est ce que t'en penses de notre botte secrète ? »

Ils ne reçurent pas de réponse de Sainte Barbe, mais les applaudissements d'Outa et de BàB. Cela finit de mortifier le maitre d'arme.

Sainte Barbe se devait de tirer la morale de cette leçon.
SB. « Rappelez-vous cette première règle d'or a laquelle je viens de faillir! »
« Il ne faut jamais sous estimer son adversaire »

SB. de rajouter «Une botte secrète ne le reste jamais longtemps.»«Maintenant que je la connait, elle n'est plus secrète; mais c'est une vrai botte nouvelle.»
«Ce qui me donne une idée ; puisque vous êtes inséparables je vais vous faire travailler l'escrime à deux.»
SB.: «Toi Leo avec tes dispositions d'équilibriste, tu va t'entrainer au lancé de toute sorte d'armes différentes dans les positions les plus incroyables.»«Toi Lea après cette démonstration tu as largement mérité ton surnom de tigresse tu vas donc aller apprendre à danser.»

La mine réjouie de Lea se figea brusquement, ses yeux lançaient des éclairs et BàB qui craignait pour ses tibias, ajouta rapidement.

«Tu vas apprendre une danse spéciale que les espagnols appellent «la corrida» et qui existait dans la Grèce antique. Plus précisément dans l'ile de Crête ou les danseurs affrontaient des taureaux, sautant par dessus la bête en prenant appui sur leur dos ou entre leur cornes.»
«Lea prit un air dégouté, se voyant déjà jouer à saute mouton avec les vaches bretonnes. elle envoya un bref message en signes à Leo «Tu le crois, toi, ou il n'a pas encore digéré le coup sur le tibia» Réponse par le même truchement «Essayes l'autre tibia, tu verras bien»

A voir le sursaut de BàB, Lea en déduisit qu'il faisait de rapides progrès en sourd et muet Breton et que l'Algonquien serait dorénavant de rigueur.

Justement Outa qui avait suivi toute la scène proposa ses services pour le lancé du poignard et du tomahawk.

Se tournant vers BàB il lui demanda de s'appuyer sur la canne d'escrime en la maintenant fermement et verticalement. Puis il s'éloigna de 5 à 6 mètres tournant le dos au groupe.
Tout se passa très vite,Outa croisa ses bras sur sa poitrine ses mains saisirent à son épaule gauche un large coutelas et à la droite un tomahawk , pivotant vers la cible ils propulsa les deux armes dans un seul mouvement et dans la même direction.
Leurs oreilles enregistrèrent le craquement et leur yeux, le fait que BàB ne tenait plus qu'un moignon de canne.
Et surtout, que pour la deuxième fois en dix minute il avait chu sur son postérieur.
Lea: « Ca devient une manie! »
Leo: « Chut! Tu vas le vexé »
Et tout le monde se mit à parlé en même temps.
Lea; «Tu nous montres comment tu fais ?»
Leo: «Laisses voir la hache ?»
BàB pas rancunier : «Comment ça tient dans ton dos ?»

Outa se prêta volontiers à une étude détaillée de ses armes. tout en répondant à Sainte Barbe qui était intrigué par le double usage de pipe et de hache' du tomahawk.
C'est ainsi que devait débuter l'entrainement des jumeaux à l'escrime, mais pas que.


Qu'importe le taureau pourvu qu'on ait l'ivresse:



- On suppose que NàB, n'avait pas l'intention de demander à Lea de telles acrobaties !

Devant les difficultés à se procurer une bête à cornes espagnole. Pour l'entrainement de Lea; on s'adressa à Barre à Bâbord qui proposa une solution de remplacement.

Dans un premier temps on utilisa les talents d'Outa qui coiffé d'un couvre chef, fait dans une peau de bison, rappelait vaguement un taureau de corrida.
Mais la danse du bison qu'il exécuta, bien que très suggestive, n'avait que peu de chose à voir avec la charge d'un taureau furieux.

Les jumeaux étaient déçus, Outa était navré, SB et BàB étaient pensifs.

C'est alors qu'apparut revenant du potager, Cambuse poussant une brouette lourdement chargée.
Il avait des sabots de bois trop grands pour ses pieds et surtout maculés de la glaise glissante du potager. Le chemin en pente qui menait à l'office virait à angle droit devant l'aire de battage ou cogitaient nos futurs toreros.

Le groupe ne comprit pas de suite pourquoi Cambuse semblait si pressé d'arriver à l'office. Mais le fait est que Cambuse glissait derrière la brouette, plus qu'il ne la poussait .

Voyant qu'il ne pourrait pas la guider dans le virage, il décida de continuer tout droit vers le groupe. Tout en poussant des meuglements d'avertissements. Ce qui faisait plus taureau furieux que lorsque Outa imitait le bison en rut.

Plus la vitesse augmentait, plus la brouette zigzaguait, et moins les apprentis toreros ne savaient dans qu'elle direction s'écarter.
Sainte Barbe avait vécu une situation identique, avec un canon qui avait rompu ses amarres dans la tempête. Le canon avait blessé plusieurs marins, avant qu'on arrive à glisser une barre d'anspect dans les rayons de ses roues. Ce qui l'avait enfin immobilisé.

Lea fut la première sur la trajectoire et exécuta une véronique parfaite. Puis elle se mit à courir derrière Cambuse pour attraper ses basques et essayer de le freiner .

Ce que voyant Leo; s'amarra à la ceinture de Lea, pensant qu'ils ne seraient pas trop de deux; pour freiner des quatre pieds.

Mais Sainte Barbe suivait toujours son idée. Attrapant une fourche planter dans une meule, il la lança dans la roue de la brouette.

Outa n'était pas un coureur des bois pour rien. Bien que parti bon dernier il avait remonté son handicape et même était à la hauteur de la roue lorsque les dents de la fourche bloquèrent la brouette tout net.

Obéissant aux règles les plus élémentaires de la balistique; la brouette passa cul par dessus tête, et répandit son contenu.
Cambuse décrivit une trajectoire tendue dans le tas de légumes, qu'il transforma en une purée variée et gluante.
Lea se présenta en second, et son faible poids combiné à son agilité lui permis de passer
au delà de Cambuse sans le piétiner. De traverser la purée de légumes avec la maitrise d'une patineuse, et de sauter dans les bras d' Outa.
Ce dernier, malgré sa force peu commune, eut du mal a résister à cette charge. C'est une meule de paille qui amortit leur chute en les faisant disparaître aux yeux des spectateurs.

C'est Leo qui surprit tout le monde.
Car lui aussi s'était envolé. En retombant, il prit appel sur la brouette renversée, et plongea vers Cambuse encore accroupi. en prenant appuis sur son dos, il exécuta un saut périlleux qui lui permit de dépasser la purée glissante et de rejoindre Lea et Outa dans la meule de paille.
Devant une pareille démonstration, BàB n'avait plus qu'à soigner quelques détails pour mettre au point un 'Taureau brouette', ce qui fut fait des le lendemain.

Et passèrent, les jours, les semaines, et les mois....

La charge de Cambuse et tout le charivari qui s'ensuivit, étaient depuis longtemps oubliés.
Les jumeaux avaient grandi, la nurserie aussi. Heureusement la solde de Capitaine Thomas avait suivie cette inflation. Il était contre-miral et commandant en chef de la flotte.
- Lea était devenue une charmante adolescente


- Leo cherchait encore son style, avec une préférence marquée pour le genre pirate

Jusqu'à cette année charnière. De 1794. Année à marquer d'une pierre blanche ou d'un drapeau blanc.


(Chère lectrice je vois que vous vous demandez pourquoi en ces temps ou régnait la terreur, 1794 fut plus remarquable que 93 ou 95 ? Je vais vous le dire. C'est l'année ou

Maman-France décida de quitter la France révolutionnaire pour Pondichéry.
Toute la maison décida de s'embarquer pour les Indes Orientales.
Mais la France révolutionnaire déclara la guerre à l'Angleterre et déménagea ses ressortissants de Pondichéry sur l'ile de France.

Mais n'anticipons pas. Je compte sur votre discrétion)



2 - L'appel du large .

La situation de la flotte française en ce début d'année 1794.


(Extraits de documents de l'époque)
Dés le 16 novembre 1793,Villaret se retrouve promu contre-amiral et commandant en chef de la flotte. Le représentant du peuple 'Bon Saint-André' déclare au Comité de Salut public :  Je sais que Villaret est un aristocrate, mais il est brave et il servira bien .
Villaret prévient le Comité de Salut public, qui fait trembler toute la région de Brest :« Le patriotisme ne suffit pas pour diriger des vaisseaux. Ignorance, intrigues, apathie pour le service, ambition de grades, voilà le tableau trop fidèle de 19 sur 20 des officiers... »  L’amiral Villaret essaye de recréer une escadre capable de prendre la mer et d’affronter les flottes ennemies. Mais, les vaisseaux et les frégates sont des coquilles vides, qui pourrissent dans les ports français.
Armoiries des Villaret de Joyeuse

La flotte française était mal entretenue, sauf l'Alerte, bichonnée par Barre à Bâbord. Elle était à quai, en face des grands entrepôts nationaux.

En route vers les Indes orientales


Pourquoi Maman-France, femme d'un contre-amiral de la république, réputée pour sa générosité et ouverte aux idées de son siècle; décida-t-elle de quitter la France avec armes et bagages.
Personne ne pourrait le dire pas même les jumeaux qui en portent indirectement la responsabilité.

Et voici pourquoi:

Les deux adolescents en pleine croissance, passaient régulièrement faire un tour à la « cambuse » entre les repas.
Maman-Gâteau ne savait rien leur refuser, et ce jour là elle sortait du four des petits pains d'épices pour la nurserie de Maman-France.

Cela embaumait dans toute la maison. Les jumeaux étaient en train de se remplir les poches de gâteaux, lorsque leur mère les surprit. S'en suivi une réprimande, avec sommation de restituer la totalité du larcin, à l'exception de ce qu'ils avaient dans la bouche.
Personne ne contestait jamais l'autorité de Maman-France et surtout pas lorsqu'elle était furieuse et là, c'était le cas.
- Maman-France d'un doigt vengeur, montrant la sortie au jumeaux.

Leo et Lea quittèrent la cuisine sans piper mots. Mais dés qu'ils furent dans la cour ils se mirent à danser et à chanter « Ah! ...Ça ira, ...ça ira! ...ça ira! ...Les aristocrates à la lanterne …. ah! Ça ira! Ça ira! ça ira! Les aristocrates on les pendra »

Leur mère avait déjà entendu les paroles de ce chant révolutionnaire, sans y prêter garde outre mesure. Mais ce jour là elle se senti personnellement visée.
Même s'il n'y avait pas de prison à Brest qui s'appela « la lanterne.» Il y avait beaucoup d'aristocrates et de prêtres réfractaires, enfermés avant d'être déportés vers les colonies.

Ce que la convention faisait aux prêtres la révoltait. Et son sang d 'aristocrate se mit à bouillonner.
MF: « Bien sur Thomas est reparti !» « Jamais là quand on a besoin de lui, celui-là !»

Cette femme au grand coeur, était aussi une femme de tête, de devoir et de décision.

- MF, apostrophant Sainte Barbe qui passait par là: « SB, Branle bas de combat, tambour battant, je veux tout le monde sur le pont dans cinq minutes. »

En moins de temps qu'il faut pour le dire, toute la maisonnée, bébés compris se retrouva dans la salle d'armes.

Maman-France prit le temps de regarder chacun droit dans les yeux, en silence, ce qui permit à tous, de s'imprégner de l'importance de la suite.

«Je vous ai rassemblés, car l'instant est grave, et la situation urgente.»

«La révolution après avoir semé les graines de la Liberté et de L'égalité. Sème aujourd'hui celles de la terreur. »« On menace de pendaison les aristocrates.» « On envoie au bagne les prêtres.» « On guillotine les enfants.»(Là elle exagérait un peu...)
Je ne reconnais plus ce pays généreux, qui m'accueillit jadis, J'ai donc décider de quitter la France.»

Un drapeau blanc aux couleurs de la chouannerie menait le peuple:

« Que ceux qui ne veulent pas me suivre lèvent la main? » (La question intero-négative donne de meilleurs résultat que l'inverse, essayez, vous verrez)

La nouvelle était inattendue, l'assistance resta figée. Personne ne leva la main.

C'est donc très démocratiquement et à l'unanimité que fut adoptée cette décision.

« Il faut que nous soyons tous embarqués dans deux jours. Chacun à droit à un coffre pour ses vêtements et un sac pour ses petites affaires. »

Sur ce Maman-France nous tourna le dos, et se préparait à quitter la salle; lorsqu'une voix posa la seule question véritablement capitale: « On embarque pour aller où? »

Réponse de Maman-France : « A Pondichéry bien sûr ! »

Le groupe qui pourtant n'avait pas répété, fit écho en choeur « A Pondichéryyyyyy ????»

Maman-France se voulant rassurante répéta :  « Oui à Pondichèry. Là-bas au moins nous sommes certains que les révolutionnaires ne viendront pas nous chercher »

Les jumeaux que rien ne pouvait étonné; mais qui ne manquaient pas de bon sens résumèrent la situation ainsi:

Leo: « Je suis au moins d'accord avec Maman-France, la terreur ne viendra pas nous chercher à Pondichéry »
Ce à quoi Lea surenchérit: « Si tu veux mon avis ni la terreur, ni personne d'autre, je me demande comment Capitaine Thomas va prendre ça? »

Leo: « j'ai réfléchi à une chose » « Nous sommes probablement la seul famille dont les parents sont tous les deux capitaines. »
Lea: « Oui mais Louis Thomas navigue depuis 25 ans. »« Et celui qu'on à choisi pour faire le tour du monde n'a « Ja!... Ja!... Jamais navigué, Ohé!.. Ohé!...Ohé!. »


Maman-France qui était revenue sur ses pas, n'entendit que la comptine, mais ne douta pas quelle lui fut destinée.

- MF S'adressant à BàB: « Combien de marins faut-il pour mener l'Alerte. »
BàB: « Une goélette de trois mats, armée seulement pour moitié de canons le reste en caronades et comme j'ai remplacer toutes les voiles carrées par des voiles auriques, sans se servir des deux grosses pièces de chasse, disons que 50 marins polyvalents formeraient un demi équipage mais c'est un minimum. »
MF: « 50 marins? Et ou va-t-on trouver 50 marins? »
BàB: « Pour ça nous avons notre petite idée, Sainte Barbe et moi. Tout dépend si vos petites couturières peuvent nous faire deux uniformes d'officiers de marine. »
MF: «S'il ne vous faut que ça, aucun problème. Thomas a laissé une malle avec de veille tenues, qu'il sera très facile de reprendre à vos mesures.

A l'ouverture de la malle et après inventaire, il y eut de quoi habiller les deux loups de mer et même Leo qui fit un aspirant très réaliste. A bord il était fréquent de trouver de très jeunes gens d'une douzaine d'année, mais pas de jeune fille, Lea partit bouder dans un coin, refusant de se joindre aux couturières.
La journée suivante fut toute consacrée au chargement de l'Alerte, dans l'indifférence générale des autorités du port. La révolution en faisant la chasse aux aristocrates, avait décapité, sans jeux de mots, le sommet de la hiérarchie.
Thomas avait l'habitude de dire « Que des marins sans officiers ne composent pas plus un équipage, qu'un tas de matériaux de construction, sans plan, ne permet de construire une maison » (Mais c'est une manie qu'ils attrapent sur les bateaux! De faire des proverbes à tout bout de champ!)
En un mot comme en cent, il régnait sur les quais de Brest une véritable pétaudière. Aucun navire de guerre n'était prêt à prendre la mer, les voiles étaient rangées dans les entrepôts.

Seuls les bateaux de commerce donnaient du travail aux porte-faits.
C'est ce qui avait donné son idée à Barre à Bâbord, lorsqu'il avait vu un joli brick venir demander l'autorisation de se mettre à couple de l'Alerte. Il n'y avait plus de place dans cette partie du port prés des entrepôts.
Pendant plusieurs jour une équipe de prisonniers les fers aux pieds, avait traversé l'Alerte, pour décharger le brick' Le Coureur', le travail n'avançait pas très vite.
Le capitaine du brick et son second n'en avaient cure, ils étaient partis à Paris pour rencontrer leur armateur. Les marins profitaient des tavernes alentours, un seul matelot surveillait le déchargement.


- Le Coureur et Le curieux ont été construits sur le même modèle, selon cette maquette
Pendant que Sainte Barbe faisait une dégustation de son meilleur rhum, avec les deux gendarmes chargés de la garde des prisonniers, BàB et Leo se mirent en tenue. Ils avaient bel allure dans leurs uniformes propres, et quand les deux gendarmes
les virent entrer, ils se dressèrent au garde à vous. Ils avaient oublié qu'il n'y avait pas une hauteur sous barrots suffisante, pour ce genre d'exercice. (Résultat deux bosses, enfin une chacun.)
BàB: «  Où pouvons nous trouver un officier, qui puisse nous allouer une équipe de prisonniers pour la journée de demain ?
Un des gendarmes à bosse: « Il est parti à Rennes marier sa soeur...mais pour les prisonniers c'est nous que ça regarde. Enfin de quoi vous avez besoin. Ils ne sont pas très costaux. Tous des politiques en attente de départ pour le bagne vous comprenez... »
BàB: « Pourriez-vous doubler l'effectif pour demain?»
Eux: « Sans problème, surtout si vous pouvez nous garder ceux là cette nuit. On les enchaine à fond de cale et vous leur donner à boire et un quignon de pain avec un oignon ? c'est la ration du soir.»
BàB: « Ca ne m'étonne pas qu'ils soient un peu mous. Et la ration du matin, c'est quoi? »
Eux: « Nous on sait pas, on fait que le soir. Le matin c'est les autres à la prison. On leur demandera, et on vous le dira demain.»

C'était tellement inespéré que Leo n'en croyait pas ses oreilles. Ils avaient tiré le bon numéro.
Que disait Sainte Barbe? « En escrime une ouverture inattendue, c'est soit un piège de l'adversaire, soit une chance qu'il faut saisir très rapidement. »
Leo tenta sa chance: « Pour l'équipe de demain serait-il possible de nous sélectionner des pêcheurs et des matelots, même des officiers de marine, si vous en avez. »

Eux: « Pour ça des officiers de marine on n'en manque pas, mais je sais pas ce que vous voulez leur faire faire. Les « Aristos » ça sait rien faire de leur dix doigts. Enfin c'est vous que ça regarde. »
BàB: « Merci messieurs pour les détails voyez avec mon officier, dit Barre à Bâbord. Il salua et sortit. »

Barre à Bâbord dans sa tenu de capitaine, L'Alerte en second plan.

Dés qu'ils furent hors de portée des oreilles des gendarmes, Leo interrogea Barre à Bâbord :

Leo: « Crois-tu qu'ils fassent semblant ? Ou sont-ils vraiment simplets ? »
BàB: « Je me pose la question depuis un moment et je n'ai pas la réponse. »
« Toujours est-il que nous sommes allez trop loin pour changer nos plans. Je ne crois ni en Dieu, ni au Diable, mais j'ai l'habitude des hommes, et crois moi ces deux là ont des bonnes têtes de bretons. Leur regard est franc comme l'or. La seule
chose qui me gène, c'est de savoir que nous seront responsables de ce qui va leur arriver, quand le gradé reviendra. Avec les méthodes des nouveaux « Citoyens » il faut craindre le pire.... Mais les voilà, allons les aider à faire descendre ces pauvres bougres à fond de cale. »

Heureusement pour les prisonniers, il ne manquait pas de place dans les fonds, et les gendarmes n'étaient pas des négriers.
Avisant une grande quantité de chaines l'un deux demanda à Leo :

Eux: « A quoi peut servir autant de chaines, vous comptez faire le trafic du bois d'ébène. »

C'est ainsi que l'on baptisait pudiquement le trafic d'esclaves que la révolution venait d'interdire.

Leo: « Non ! C'est pour consolider les mats et leur permettre de porter plus de toiles par grand vent. »
Eux: « A bon, je vois, dit l'autre, qui ne voyait rien. Sa science de la navigation se limitant à la pêche côtière avec une barque à rames.

Cela dit, les prisonniers furent répartis sur les deux bords. La chaine verrouillée, leur passait entre les jambes, leur pieds restant entravés.
Sans parler de confort, ils avaient de quoi s'allonger ou se tenir accroupi sans se gêner les uns les autres.
Leo leur fournit quelques louches et s'assura que la chaine avait assez de mou pour permettre aux premiers de la file d'accéder aux tonneaux.

En revanche il n'y avait à bord que des biscuits de mer hors d'âge. Il fallait taper doucement et suffisamment longtemps pour en faire sortir les charançons.
Tous les marins savent que les biscuits de mer son l'habitat naturel de ces insectes. Et que ces petites bêtes n'ayant mangé que du biscuit depuis leur naissance, devaient forcément avoir le même goût que le gâteau. Les moins regardant allaient jusqu'à les croquer sans façon. Les médecins du bord ayant assuraient, qu'ils représentaient un apport de protéines, non négligeable en cas de disette.

Barre à bâbord et Leo hésitèrent à informer les prisonniers de leur projet, de crainte de leur donner de faux espoirs.
Leo profita de la nuit, pour regagner la maison et tenir Maman-France au courant des dernières nouvelles.

Tous les bagages avaient été chargés sur deux grandes charettes. L'une ne contenait
que des outils et du mobilier, avec au dessus les berceaux pour les plus jeunes.(C'est BàB qui sera content, il n'aura pas à en fabriquer d'autres). L'autre les malles et les sacs, et des vivres; des pommes en quantité. Selon l'avis de Cambuse, il y en avait plein le verger, c'était bourré de vitamines, et ça ne donnait pas mal au ventre. (Du pain béni pour les matelots et les bébés.)

Lea expliqua à son frère, qu'elle n'avait rien pu faire pour dissuader leur mère d'emmener tout ça. On ne marchandait pas avec la vie des enfants.

MF: « Ils sont peut-être une charge aujourd'hui, mais seront une aide précieuse plus tard. »
Même si Lea pensait qu'ils auraient le temps de faire quatre fois le tour de la terre avant que les bébés ne soient utiles à quelque chose. Elle préféra ne pas l'exprimer à haute voix.
Il fut décidé de descendre ce chariot et de charger son contenu immédiatement.
Les femmes de la maison rejoindraient le bord à la tombée de la nuit suivante, en attendant elles pourraient cuire des biscuits en grande quantité pour remplacer ceux qui allaient nourrir les prisonniers.

Cette nuit là tout le monde fut très occupé, personne ne dormit beaucoup. sauf les bébés bien sûr.


(Quant à vous chère lectrice, si vous alliez vous reposer un peu. Faites comme les jumeaux, reprenez des forces, vous allez en avoir besoin.)



Aux armes citoyens, le jour du départ est arrivé.

Les jumeaux furent sur le pont avant le lever du soleil. Tout respirait le calme, ou du moins les bruits du port leur devenaient familiers, ils ne les entendaient plus. Les gréements de « L'Alerte » sifflaient doucement, les chaines des prisonniers ajoutaient des notes métalliques aux ronflements sonores du gardien du brick « Le Coureur »

Les deux adolescents étaient bien trop énervés, pour seulement y prêter attention.
Ils ne tenaient pas en place et faisaient les cents pas sur le pont.
C'est la colonne qui descendait au pas cadencé vers le port, qui les mit en alerte. Dans ce petit matin, la rue étroite et sombre ne permettait pas de voir grand chose. Leo devina un soldat en tête de colonne à son uniforme aux parements blancs et au fusil à la bretelle.

Il envoya Lea réveiller l'équipage, qui pour lors totalisait six personnes avec eux deux.

Enfin c'est donc au complet trois de chaque coté, qu'il virent défiler dix huit forças, les deux gendarmes de la veille accompagnés de trois personnages, qui n'avaient pas de fers aux pied.
Les gendarmes firent descendre les prisonniers, refermèrent le caillebotis, et se dirigèrent vers la grande cabine. Tout le monde les suivit.
Les gendarmes plus familiers des lieux, baissèrent la tête et posèrent leurs mousquets dans un coin.




Le plus vieux d'entre eux était de petite taille et tenait debout sans se courber. En revanche le géant qui le suivait resta dehors car il ne passait pas par la porte, ni en hauteur ni en largeur. Ce que voyant Outa, qui lui aussi était très grand décida de lui tenir compagnie.
C'est le plus ancien des gendarmes qui prit la parole le premier.
C'est un bien beau bateau que vous avez là, ressemble plus à bateau de guerre qu'à un bateau de commerce. Pour l'instant manque que l'équipage.

Il ne posait pas de question, et donc ne reçu pas de réponse.

La première question il la posa à la cantonade : « Et vous comptez aller où? »

Barre à bâbord se dit que rien ne servait de mentir, et répondit:

A Pondichéry bien sûr …

Les mêmes causes produisant les mêmes effets; le gendarme se gratta la tête. Ce qui chez lui était un signe de grande concentration, et dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas

« Bien sûr !!!!»......
Il y eut un blanc dans la conversation, rompu par la question du petit monsieur:

Dargenson: « Pondichèry est bien un comptoir Français des Indes orientales ? »

Avant tout le monde, Lea qui ne perdait jamais une occasion de faire un bon mot répondit:

« Bien sûr !»

Ce qui provoqua en écho tout une série de ..« Bien sûr ».... » Bien sûr » ….« Bien sûr »

Mais le petit monsieur qui suivait son idée, nullement troublé par ce concert d'approbations rajouta:

Dargenson: « Accepteriez-vous des passagers ? »
BàB: « Cela dépend du nombre ! »
Dargenson: « Trois, mon ami Bois d'Ambert qui doit se rendre à l'ile de France, mon serviteur Simbad et moi même docteur Dargenson qui suis médecin à la prison. »
« Nous sommes prêts à payer notre passage d'avance, pour peu que nous puissions partir très vite. »
BàB: « Cela dépend du temps qu'il faudra pour compléter l'équipage. »

Et le gendarme de s'étonner:

« Ah bon parce que les 30 d'hier plus les 20 de ce matin ça suffit encore pas pour un équipage ? »

Et devant l'air ébahi de Barre à Babôrd qui n'en croyait ni ses yeux ni ses oreilles, il précisa:

« Vous n'avez pas cru qu'on étaient assez niais pour ne pas comprendre ce que vous maniganciez. On n'a beau ne pas être dans la marine, on se doutait bien que vous ne pourriez pas hisser les voiles sans notre aide. »
« Dans quelques semaines, nous devions partir vers un bagne à l'autre bout du monde. Comme nous sommes célibataires, il s'agit d'un aller simple. Et nous deux on s'est dit, qu'on n'avait rien fait pour mériter le bagne. Alors si vous êtes contents de nos services en temps que recruteurs, vous pourriez peut-être, nous emmener dans votre Pondichéry. ?»

BàB dépassé par les événement évita de justesse le « Bien sûr »

Celui qui n'était pas encore intervenu, se présenta comme 'Bois d'Ambert,trésorier général de la république'. Il oublia de préciser, qu'il avait pris quelque liberté avec la gestion des stocks à destination de la marine. Ce qui lui valait une promotion, comme responsable du rachat des prises dans l'océan indien, basé à Port Louis, Ile de France.

Mais Bois d'Ambert s'il était un peu voleur, n'en était pas moins très compétent. Aussi s'adressa-t-il à Sainte Barbe, qui ne pouvait être que le second :
BdA: « voulez-vous que nous fassions un inventaire du bateau. »

Sainte Barbe fit un signe d'approbation. Ils sortirent les jumeaux sur leurs talons.
Bois d'Ambert regardait autour de lui et prenait des notes. Il nota la présence de deux canons longs à l'avant des six livres, un autre à l'arrière long également lui sembla plus gros, il se fit préciser:

SB :  « Un 9 livres ? »

Sainte Barbe ajouta;

« La petite bombarde à coté tire des obus du même calibre. »
« Le reste de l'armement est constitué de caronades de douze livres, cinq de chaque coté et le même nombre de pierrier en alternance, ils peuvent être alimenter par des boites de mitraille ou des grenades à main comme celles qui équipent l'armée de terre. »

Bragues et palans étaient en parfait état, les manoeuvres convenablement gréées.

La visite était achevée car pour le reste les cales étaient vides, exception faite de la réserve d'eau à moitié pleine.
Dambert comme il se faisait appelé pour faire moins « Aristo », monta les cinq marches qui conduisaient au pont.

- Dambert: « Capitaine », dit-il en s'adressant à Barre à Bâbord, « Vous ne pouvez pas appareiller pour un si long voyage les cales vides et avec un seul jeu de voile, j'ai sur moi une réquisition au nom d'un corsaire qui a payé une cargaison dont il doit prendre livraison en l'Ile de France.
Le temps d'aller m'arranger avec mon ancien adjoint et vous pourrez envoyer vos hommes disons d'ici une heure. »

Les jumeaux, curieux et se sentant un peu écarter du débat se manifestèrent à leur façon

Leo: « Si nous avons tout compris, dès ce soir nous pouvons embarquer les femmes et les bébés. Sur un bateau parfaitement équipé, avec un équipage complet; composé de bagnards en fuite, un médecin et son aide, les cales pleines d'un affrètement volé à un corsaire, au fait; français le corsaire Monsieur Dambert.?»

Dambert: « Oui! de Saint Malo »
Lea « Et il a un nom ce corsaire ? »
Dambert « Oui! Charles-Ange Surcouf. »
Lea : « Ange évidemment ça change tout »

Ce nom ne disait encore rien aux jumeaux, mais le destin allait arranger ça.

Lea « Comment pourra-t-on rembourser ce Monsieur Surcouf. »
Dambert « Selon le code de l'honneur qui fait loi entre corsaires, il vous suffira de vous joindre à lui. »
Lea « En somme de travailler pour lui, je croyais l'esclavage aboli. »
Dambert « Vous avez un très long chemin à parcourir, qui sait vous aurez peut être l'occasion de faire des prises avant d'arriver. Dans tous les cas c'est moi qui me chargerai de les racheter pour le compte de la république. Sur ce; capitaine, nous n'avons pas un moment à perdre si nous appareillons ce soir. »

Leo et Lea furent réquisitionnés par Le chirurgien et entomologiste à temps perdu, Docteur Dargenson. C'était un homme bon et les jumeaux se sentir attiré par lui comme par un aimant. Il n'était pas que bon, on aurait dit à cette époque « Très savant » Il avait beaucoup voyagé surtout en bateau. Il répondait toujours aux questions des jumeaux, dont il appréciait la vivacité d'esprit.

Ils eurent tôt fait d'emballer quelques fioles et onguents supplémentaires dans un meuble à compartiment, contenant déjà tous ses outils chirurgicaux. La malle était d'un poids surprenant par rapport à sa taille, et ils ne seraient jamais parvenu à la hisser à bord de la carriole sans l'aide de Simbad. Un véritable hercule, aussi grand qu'Outa, mais deux fois plus large. Ces deux là, étaient destinés à devenir inséparables. Tous les deux étaient muets, costauds et souriants. Tous les deux aimaient la mer et les bateaux. Et tous les deux ne savaient rien refuser aux jumeaux. Donc sans se concerter, ils décidèrent d'en assurer la protection rapprochée.

Pendant ce temps là, Barre à Babôrd et Sainte Barbe descendirent voir les prisonniers.
Ils commencèrent par leur demander de garder le silence. Même si ce qu'ils allaient entendre leur donnait envie de se manifester bruyamment.

«  Ce bateau part cette nuit, si vous avez terminé son chargement avant la marée descendante. Avec la brise d'aujourd'hui nous serons sortis du chenal en deux heures et au large de Noirmoutier dans la matinée. Là nous pourrons débarquer ceux qui ne souhaiteraient pas venir avec nous jusqu'en Ile de France. »
« Y a t-il parmi vous des officiers de marine, prêts à nous suivre dans cette aventure ? »
« Sept d'entre nous avaient le grade de capitaine, huit celui de lieutenant et trois aspirants, tous victimes de Jean Bon Saint André. Nous avons été livrés à l'accusateur publique après la bataille navale du 13 prairial, et condamnés au bagne pour avoir perdu nos bateaux.
« Nous sommes prêts à nous enrôler comme simple matelot pour quitter la France »
Parmi les trente autres il y avait, deux prêtres réfractaires, une dizaine de petits nobles vendéens royalistes, et le reste pêcheurs, artisants et marins classés déserteurs qui pour s'être saouler avaient raté le départ de leur bateau.
C'est une colonne de cinquante gaillards qui se mit à charger ce qu'ils considéraient déjà comme leur bateau, avec un zèle inaccoutumé sur le port. Pour peu ils se seraient mis à courir s'ils n 'avaient pas été entravés par leurs chaines.


A la fin de la soirée, on installa Simbad et Outa sur le quai autour d'une petite forge. Avec comme consigne, de marteler des fers de harpons et surtout de ne jamais arrêter de frapper.
Pendant ce temps sur une enclume à fond de cale Sainte Barbe libérait les hommes un par un.
La nuit venue c'est une procession de moines, suivant une charrette pleine de malles qui arriva sur les quais. Personne ne sembla remarquer que sous les capuchons on ne marmonnait pas des prières, mais des mots doux propres à rassurer les marmots fagotés sur le giron de leur mères.
Les plus grands cachés dans la charrette, montèrent la passerelle, sous la bure de leur mère tout se passa sans accroc .

Vers 11 Heures tout le monde était à bord, Barre à Bâbord proposa une réunion avec tous les capitaines. Lamel, Lucadou, Douville. Blavet. Renaudin, Jean-François Courant et Guillaume-Jean-Noël La Villegris.

Leo et Lea ainsi que Sainte Barbe y participaient.

Le brick 'Le Coureur' toujours à couple avait était laissé sans surveillance, il était impossible de quitter le quai discrètement en laissant le brick à la dérive.
De plus, bien manoeuvré il servirait d'éclaireur à L'Alerte, et en cas de mauvaise rencontre il pouvait facilement s'échapper. A bord, l'équipage serait restreint, une dizaine d'hommes, cinq officiers les femmes et le médecin .
- Le brick le Coureur

La Villegris originaire de Noirmoutier, souhaitait faire une halte dans une crique proche de sa maison de famille,pour y prendre quelques affaires et dire au revoir à ses parents.
Rendez-vous était pris, au larges des hauts fonds du nord ouest dit «  La baleine »
Villegris, Lucadou et Douville avaient rapidement retrouvé l'envie de se battre, ils avaient une revanche à prendre.

Le Coureur largua les amarres et se laissa dérivé dans le chenal, les jeunes lieutenants
connaissaient leur métier. Les voiles bases aussitôt établies, le brick emboucha le chenal.

Sur L'Alerte, les manoeuvres dépendaient, d'un équipage plus nombreux, soit, mais inexpérimenté.
Tout le monde était sur le pont. Sainte Barbe et Barre à Bâbord avaient revêtu leurs uniformes, pour être reconnaissable de loin. Afin d'éviter le bruit au maximum ils étaient tous pieds nus.
Les préparatifs furent simplifiés; on mena les forçats à leurs postes et on leur demanda de ne tirer sur les cordages qu'au commandement.

Barre à Bâbord avait eu bien souvent de nouvelles recrues à former. Les départs en campagne avaient toujours été calamiteux.
Grâce à la Presse, chargée au dernier moment de compléter les équipages; souvent plus de la moitié étaient composés de paysans enrôlés contre leur gré.
Ce qui faisait toute la différence se lisait dans leur regards, ils étaient de nouveaux libres et égaux, pour la fraternité elle se forgerait dans les épreuves qui les attendaient.

« Je coupe les amarres » demanda Leo à mi voix ?
« Non! Largues les », répliqua Sainte Barbe.  « Des amarres coupées et pendantes aux bornes d'amarrage, auraient tôt fait d'attirer l'attention des autorités sur un départ illégal. » « On ne retarde peut-être que de quelques jours l'enquête et les poursuites, mais autant éviter les grains de sable, qui pourraient gripper la roue de la fortune. »

le Docteur Dargenson, qui avait assister à la scène conclut en latin:

« Fortes fortuna adjuvat » Pour ceux qui ne m'auraient pas compris « La fortune sourit aux audacieux »

Et comme si la fortune n'attendait que cela pour leur sourire à nouveau, le début du reflux se fit sentir nettement. Les amarres raidissaient, cela faciliterait la manoeuvre pour s'éloigner du quai. D'abord larguer l'avant pour qu'il pointe vers le chenal, puis ensuite seulement l'arrière dés que la proue s'alignerait sur la première bouée de sortie.

Grâce aux modifications, que Barre à Babôrd avait astucieusement apporté aux gréements, ce petit bâtiment à voiles auriques était facile à piloter.
Du moins nécessitait-il beaucoup moins de force musculaire, et par là beaucoup moins de marins expérimentés, que s'il avait conservé ses voiles carrées.

Le reflux de la marée et le vent combinés faisait danser la coque, ce qui fit perdre provisoirement l'équilibre aux hommes sur le pont.

Tout ce beau monde réagit avec ardeur quand l'ordre fut lancer à voix basse;

« Tirez !... Faites passer ...Tirez! »


Quand la liberté guide nos pas:

Et relayer depuis l'arrière jusqu'à l'avant, ce chuchotement fut accompagné par le grincement des reas dans les poulies.

Grand Voile, Brigantine, et foc, claquèrent, se gonflèrent, claquèrent de nouveau puis elles portèrent. On avait le sentiment que le bâtiment venait de se remplir les poumons de l'air du large.
Par mimétisme sans doute, tout l'équipage était resté la tête en l'air, ils étaient bouche bée devant cette orgie de toiles, et puis comme L'Alerte prenait de la vitesse, il y eut un grand soupir général et tous se tournèrent vers la barre, pour des applaudissements silencieux.

Les jumeaux étaient très fiers et très émus, en voyant ces hommes sales en guenilles pleurer et rire en même temps, mais sans bruit.

Leo y alla de sa petite larme, et Lea qui se retenait depuis un moment lui sauta dans les bras, laissant déborder la tendresse quelle éprouvait pour lui.
Leo se figea brutalement, surpris car ce n'était pas dans les habitudes de Lea d'oublier son rôle de garçon manqué. Il était surtout gêné de sentir contre son torse deux petits
renflements, pas si petits qu'il ne pu les identifier.
Lea levant les yeux pour comprendre la raison de cette attitude, ne chercha pas longtemps les raisons de cet air emprunté; de ces joues rouges et de ce regard ahuri qui pointait vers sa chemise.

Bein quoi ! J'ai perdu un bouton, ou t'as jamais vu la poitrine d'une fille?

Réponse de Leo

Non! Je veux dire, Oui! , enfin pas souvent! Et, pas longtemps et …..et....

Lea adorait faire tourner son frère en bourrique c'était même son jeu favori:

«

La maison de famille à Brest

- Vue de l'entrée principale. Thomas avait ramené un palmier des antilles, qui au milieu de la pelouse, faisait tout ce qu'il pouvait pour ne pas crever.